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Les Kelloucq en voyage

La vraie vie et les préjugés

















Fin août, avec l’envie de préserver l’esprit des vacances, je me suis installée pour travailler dans notre jardin partagé (une nouveauté 2017 dans notre rue qui mériterait un billet à part). Assise sur un banc de palettes de récup, mon ordi posé sur une chaise-bureau, j’étais bien au milieu des plantes. Comme on pouvait le prévoir, la rue n’est pas un lieu très propice au travail pour quelqu’un d’aussi grégaire que moi. Au final, j’ai passé plus de temps à discuter avec les passants qu’à travailler. Parmi ces passants, un voisin d’immeuble depuis notre arrivée en septembre 1997. Appelons-le Mr. R. Nous discutons de choses et d’autres, d’euthanasie principalement, mais aussi de politique. Et là, Mr. R. me dit « Vous ne vivez pas dans la vraie vie, Mme B. » Je lui demande de préciser sa pensée. « Vous, vous ne travaillez pas. » Là, comment dire ? J’ai une sorte de grand moment de découragement du pigiste, de l’indépendant, du travailleur nomade et atypique (pour l’instant). Nous nous connaissons, en voisins certes pas très intimes, depuis 20 ans et Mr. R. pense depuis tout ce temps que je ne travaille pas parce qu’il ne me voit pas partir régulièrement à une heure précise vers un boulot « posté ».

 

Je suis bien consciente que l’ancienne présidente du syndic bénévole qui gérait l’immeuble à notre arrivée, syndic que j’ai rejoint rapidement, pensait un peu la même chose puisqu’elle ne voyait pas d’inconvénient à venir frapper à ma porte pour régler des points liés à la gestion de l’immeuble à toute heure de la journée. Comme si je ne travaillais pas effectivement et que j’étais tout le temps libre comme elle qui était retraitée. Admettons, car elle était de la veille école ! Mr. R. est plus jeune, plus branché sur la société, comme il me l’explique, puisqu’il se targue de parler à plein de gens de tous horizons. Et bien, il a complètement loupé le fait qu’on puisse être souvent chez soi dans la journée et y travailler sans que cela ne paraisse du travail aux autres. Quand je sors pour des rendez-vous et des conférences de presse, il doit croire que je rejoins mes copines au café. Quand je pars en cours, il doit croire que je pars faire les courses. Quand je suis installée à ma table de bureau avec mon ordi, il doit penser que je regarde des films et des séries télé en boucle.

 

Comme quoi, on se fait des idées sur les gens. C’est une bonne leçon car je suis susceptible de me faire des idées à l’emporte pièce moi aussi. On a remis les pendules à l’heure sur ce que je fais dans la vie et pour gagner ma vie. Je ne sais pas ce qu’il en aura retenu et je ne sais pas si on peut changer une perception vieille de 20 ans en 10 minutes d’explication. Le fait que je travaille et que j’étudie en même temps n’a pas dû le rassurer, il pourrait encore me classer comme une sorte d’éternelle étudiante, une dilettante intellectuelle. Comme je ne vais pas aller jusqu’à lui mettre mes fiches de paie sous le nez, il va pourtant falloir qu’il se contente de ces explications. J'ai quand même des "preuves", comme cette photo en plein tournage d'un documentaire sur Union Square à San Francisco en 2011 (en même temps, ce n'est pas un travail typique, mais c'était une expérience inoubliable). 


Cela me rappelle qu’il y a quelques mois, Mr. R. nous avait prêté le film « La loi du marché » avec Vincent Lindon sur le boulot de vigile de supermarché qu’accepte le personnage principal après une longue période de chômage. Mr. R. devait vouloir faire mon éducation de femme oisive ! Ceci dit, il n’a pas tort : je ne connais rien à pleins de choses et ce film était instructif et poignant.

 

Pour en remettre une couche, quelques jours plus tard, notre boulanger du dimanche, sur le marché Saint Eustache, avec qui nous discutons souvent me sort aussi un « Pour vous qui ne travaillez pas… ». Et rebelote. Ai-je vraiment un look de « femme entretenue » ou bien de « ménagère de 50 ans » ? L’un ou l’autre, j’ai un problème d’image en ce moment…

kelloucq le 11.09.17 à 07:15 dans Actualités - Version imprimable
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