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Les Kelloucq en voyage

Une conversation avec ma mère

Quelle différence en 15 jours! La semaine dernière, je ne suis pas venue voir mes parents car la visite d'amis californiens m'a retenue à Paris tout le weekend. Ma tante m'avait fait un "rapport" de sa visite du weekend et Emma m'a aussi raconté sa visite, avec une sortie en ville, il y a deux jours. J'avais aussi des appels de mon père - nombreux, pluisieurs fois par jour le plus souvent - pour me faire une idée sur son état de confusion qui semble s'installer.

Aujourd'hui, à l'arrivée dans leur chambre, je trouve mon père que j'avais averti d'un coup de fil avant de prendre la route. Il n'est pas 11h30, mais il est obsédé par l'idée que nous partions séance tenante pour le restaurant. Toutes les deux minutes, je dois l'assurer que nous avons un peu de temps pour bavarder. Ma mère a passé la matinée dans l'unité de vie protégée. Nous allons la chercher. Je ne suis pas sûre que mon visage lui évoque quelque chose quand elle me voit et elle nous dit qu'elle ne sait pas où elle est, mais elle vient volontiers avec nous. Direction le restaurant de la maison de retraite, nappe blanche et serveuses en tenue pour un service à l'assiette. On profite de cet endroit clair, à notre table préférée qui donne sur le jardin.

Je vois pour la première fois le résultat de décisions prises ces derniers 15 jours, soit à ma demande, soit sur proposition des serveuses et de l'ergothérapeute pour aider mon père : la viande du plat principal hachée, des couverts ergonomiques de prise plus facile et une sorte de cercle à bord haut qui s'installe sur le bord de l'assiette pour attraper plus facilement la nourriture. Je m'émerveille devant ces astuces qui facilitent la vie. Grâce à la kiné respiratoire qui a suivi un passage aux urgences, mon père respire visiblement mieux.

Mais avant la fin du repas, il s'épuise. Je l'aide à manger. Ce n'est pas suffisant. Il s'endort à table et veut rentrer à la chambre pour la sieste. Avec ma mère, nous le raccompagnons, l'installons le plus confortablement possible dans son fauteuil roulant basculé en arrière et le laissons dormir pendant que nous retournons prendre un dessert et une verveine.

Je rapproche ma chaise pour parler plus facilement avec ma mère. Et là, elle réussit à lâcher ses sempiternelles questions ("Où sommes-nous?", "Pourquoi on n'est pas chez nous?") et son autre phrase rabachée ("Je préfère crever"). La conversation sort des sentiers battus et rebattus. Elle exprime d'autres choses qu'elle ressent et qui ont du sens. "Ce n'est pas facile d'être enfant. D'abord on se fait fâcher quand on est petit et puis maintenant on vous embête". "Nous, c'est pas facile, mais vous non plus." "Il faut que vous profitiez de la vie". Peut-être ce qui fait du bien, très égoïstement, est qu'elle n'est plus dans l'impasse de sa propre confusion, perdue.

Pendant quelques instants, ma mère se comporte comme une mère qui réussit à s'extraire de ses propres préoccupations pour se soucier de son enfant. Au milieu du vaste océan de l'accompagnement (les questions administratives, médicales, financières, pratiques et les petits traumatismes vécus chaque fois que je les vois de plus en plus dépendants, de moins en moins eux-mêmes comme je les ai toujours connus), je séjourne pendant quelques minutes sur une île où ma mère est ma mère et où je suis sa fille. Où elle prend soin de moi et se soucie de moi. J'essaie d'imprimer cette impression dans mon cerveau et dans mon coeur pour qu'elle me soutienne dans les temps à venir.

kelloucq le 09.11.25 à 15:37 dans Actualités - Version imprimable
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