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Les Kelloucq en voyage

Les pigistes ne sont pas des Kleenex

Au printemps dernier (et malgré notre départ imminent), je m’étais présentée aux élections du personnel dans un groupe de presse qui est, depuis 10 ans, un de mes principaux employeurs. A partir d’un certain revenu annuel dans un groupe, les pigistes deviennent électeurs et éventuellement éligibles à ces élections. Peu le savent, peu votent et encore moins se présentent. Je n’ai pas l’âme très activiste habituellement, mais je commençais à en avoir marre de voir les droits des pigistes allégrement foulés au pied. Je me suis présentée, j’ai été élue. Le plus dur restait encore à faire.

Après une ou deux réunions de délégués du personnel en chair et en os (c’est instructif, surtout pour moi qui met rarement les pieds dans l’entreprise habituellement), j’ai donc pris le large. Depuis je suis tout cela à distance par email. J’ai une liste grandissante de pigistes réguliers dans cette boîte, ils m’envoient parfois leurs griefs qui sont alors inscrits à l’ordre du jour de la réunion mensuelle des délégués du personnel.

Souvent les réponses sont mollassonnes et ne résolvent pas grand-chose. C’est le cas pour le sujet que je considère comme mon cheval de bataille : la prime d’ancienneté. Tous les journalistes doivent recevoir deux primes d’ancienneté, une ancienneté dans la profession et une dans l’entreprise. Pour les journalistes en poste, pas de problème. Et bien, je vous le donne en mille : tous les groupes de presse français, à part deux ou trois rares exceptions, sucrent cette prime prévue par la convention collective aux pigistes. Sous des prétextes rigolos : « On ne sait pas la calculer pour vous, on attend un accord de branche pour les pigistes », déclarent tous les DRH, la bouche en cœur, quand la question leur est posée.

Toutes les semaines, je passe du temps sur ces questions, je corresponds avec d’autres pigistes et avec les DP du groupe. Mais cette semaine a été particulièrement houleuse.

Mardi matin, un des titres du groupe (pour qui je travaillais énormément à l’époque de la bulle, beaucoup moins dernièrement, mais maintenant exclusivement et régulièrement depuis que nous sommes californiens) annonce aux pigistes que, « pour des raisons budgétaires », le tarif de pige va être revu à la baisse. Une baisse de 15%. « Cette décision entrera en vigueur pour toutes les commandes passées à partir de lundi 22 janvier. » Un peu lapidaire, un peu unilatéral comme décision, vous ne trouvez pas ? Le bruit courait depuis décembre, mais venait d’être officialisé à la hussarde. J’en avais déjà touché un mot à mes « collègues »  délégués.

Dès mercredi, une lettre signée des délégués du personnel parvenait au DRH pour dénoncer la décision illégale pour plusieurs raisons (je vous passe les détails sur la tambouille interne : tel syndicat signait, tel autre ne signait pas). Comme il était expliqué dans la lettre, il y avait eu « entrave car le CE n’a pas été consulté, entrave car c’est une restructuration de service ainsi que non respect du code du travail car les pigistes devaient être prévenus par recommandé avec un délai d'un mois pour répondre. S’ils refusaient cette modification substantielle de leur contrat, le groupe devait procéder à des licenciements économiques. »

Jeudi, nouvelle annonce après tout un ramdam interne : le tarif de piges est maintenu.

Oui, c’est une victoire car la preuve est faite qu’on ne peut pas traiter les pigistes comme des sous-employés et que nous ne sommes pas obligés de dire toujours « amen ». En même temps que je savoure cette victoire, je sais que le groupe n’a évidemment pas abandonné son objectif et va certainement revenir à l’attaque en prenant les formes cette fois. Donc la bataille est loin d’être terminée. Il est possible que ce soit économiquement nécessaire de se serrer la ceinture, je ne suis pas aveugle aux difficultés de la presse (sauf qu’en l’occurrence, il s’agit d’un site Web qui marche plutôt bien). Outre le fait que les groupes pensent toujours pouvoir traiter les pigistes sans regard pour la loi, il y a cette attitude des journalistes en poste qui se disent littéralement : « Vous avez choisi cette liberté, vous devez accepter les aléas. » D’accord pour les aléas et j’ai connu ma part de canards qui ont fermé ou de nouvelles formules qui éliminaient mon boulot. Mais de là à accepter qu’on fasse un trait sur les lois en vigueur parce qu’on est pigiste, il y a un pas.

Ce soir, je suis contente. Mais circonspecte et pas particulièrement enthousiaste à l’idée de la bataille à venir. OK, je descends de ma tribune maintenant.

kelloucq le 19.01.07 à 07:06 dans Actualités - Version imprimable
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