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Les Kelloucq en voyage

Visite aux fantômes du passé et dialogue avec les vivants

Alors que notre nouveau président vient de s'exprimer à la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv hier (« «Oui, je le redis ici, c'est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et donc, pour presque tous, la mort des 13.152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet à leur domicile»).

 

Alors que je commence à lire l'autobiographie de Simone Veil (1927-2017), Une Vie, publiée en 2007 et que je suis frappée par ce passage qui raconte les jours avant son arrestation à Nice et sa déportation à Drancy, puis à Auschwitz-Birkenau. « Personne n’avait entendu parler d’Auschwitz, dont le nom n’était jamais prononcé. Comment aurions-nous pu avoir une idée quelconque de l’avenir que les nazis nous réservaient ? Aujourd’hui il est devenu difficile de réaliser à quel point l’information, sous l’Occupation, était rationnée et cloisonnée. Elle l’était du fait de la police et de la censure. On a peine à croire, à présent, que personne, hors les quartiers concernés, n’ait entendu parler de la grande rafle du Vel’ d’Hiv’ de juillet 1942 laquelle, depuis lors, a fait couler beaucoup d’encre et nourrit tant de polémiques. Lorsque, bien plus tard, j’en ai eu moi-même connaissance, j’ai partagé la stupeur collective face à la révélation du comportement de la police parisienne. Sa complicité dans l’opération me semblait une tache indélébile sur l’honneur des fonctionnaires français. Aujourd’hui, même si nos concitoyens, dans leur immense majorité, partagent ce point de vue, mon jugement s’est précisé, et je pense qu’il convient de moduler l’opprobre. Jamais, jamais on ne pourra passer l’éponge sur la responsabilité des dirigeants de Vichy, qui ont prêté main forte à la «solution finale» en apportant aux Allemands la collaboration de la police française et de la milice, notamment à Paris. Cela n’atténue en rien le mérite de ceux de ces policiers qui, par exemple, ont prévenu et ainsi sauvé la moitié des vingt-cinq mille Juifs à Paris avant la rafle du Vel’ d’Hiv’en juillet 1942.

Plus généralement, si les trois quarts de la population juive vivant en France ont échappé à la déportation, c’est d’abord du fait de l’existence, jusqu’en novembre 1942, de la zone libre et jusqu’en septembre 1943, de l’occupation italienne.

Et puis, nombre de Français, n’en déplaise aux auteurs du Chagrin et la Pitié, ont eu un comportement exemplaire. Les enfants ont été, pour le plus grand nombre d’entre eux, sauvés grâce à toutes sortes de réseaux … En fin de compte, de tous les pays occupés par les nazis, la France est, et de loin, celui où les arrestations furent, en pourcentage, les moins nombreuses…. » (p. 53-54).



 

Voici un billet posté le 30 juillet 2013. Depuis, la jeune femme qui avait caché G, devenue une très vieille dame à qui il rendait visite à chaque passage en France, est morte. G. lui-même a 78 ans. Nous allons le voir dans quelques jours lors de sa visite presqu'annuelle à Paris. 

 



Diner avec un petit garçon juif rescapé

En 1940, G. avait un an et vivait avec sa famille rue Saint-Joseph dans le Sentier, à deux pas de chez nous. Hier soir, cet ami d’ami que nous connaissons depuis quelques années et qui vit aujourd’hui à New York est venu dîner à la maison. A la fin d’un repas très enjoué et très plaisant, nous avons évoqué son enfance et l’histoire dramatique de sa famille pendant la guerre. On peut lire des livres (Le Ô vous, frères humains d’Albert Cohen que je viens de relire ou Elle s’appelait Sarah de Tatiana de Rosnay) ou voir des films. Rien ne remplace un être humain en face de vous qui vous raconte son histoire.

L’histoire de G. est à la fois singulière et commune à des milliers d’enfants juifs de cette sombre époque. Se sachant en danger, sa famille le confie à un couple de Montreuil. Père, mère, grand-père, oncles et tantes seront tous déportés et ne reviendront pas d’Auschwitz. G. explique qu’ils partaient pensant être envoyés dans des camps de travail. Seule sa grand mère, jugée plus faible, reste sur place en se cachant dans un autre appartement du même immeuble. Elle reste aussi comme un lien pour son petit-fils. Quand les bombardements qui annoncent la libération deviennent intenables à Montreuil, la famille d’accueil part se réfugier en Charente chez un cousin, avec G. évidemment.

A la fin de la guerre, G. retrouve sa grand-mère, désormais son unique famille. Il a 5 ans. Ils partiront en Amérique du Sud, puis lui fera sa vie aux Etats-Unis. Depuis, il est revenu sur les traces du passé et a rendu visite à la famille de Montreuil et aussi à celle de Charente. Il voit toujours une survivante de cette famille qui refuse obstinément d’être considérée comme une héroïne pour avoir hébergé un enfant juif malgré le danger. Dans la rue Saint-Joseph, son ancien immeuble a été transformé en hôtel de luxe. Comme le dit la compagne de G., le plus beau est qu’il n’ait aucune rancune et qu’il ait bâti une vie positive et ouverte. Mais essayons un instant de nous mettre à la place d’un enfant dont la vie débute dans ces conditions terribles…

En parlant de se mettre à la place, on ne peut pas s’empêcher de se demander ce que nous aurions fait dans ces conditions. Aurai-je détourné la tête pour ne pas savoir ? Aurai-je collaboré ? Aurai-je trouvé le courage de me montrer à la hauteur de la situation ? Questions sans réponse.

kelloucq le 17.07.17 à 07:55 dans Actualités - Version imprimable
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